Poèmes
C
Vous pouvez retrouver ici des poèmes inédits, publiés dans des revues ou des anthologies
Silences
Faire silence avec celui descendu des collines
Celui qui précède le cri
Du nouveau né
Celui qui succède au souffle
Le dernier – seul avant de rejoindre le grand tout
J’essaie je tente l’expérience
L’éveil au bout des doigts
Recevoir et rendre à la rivière le sacré
À la rêverie le tendre – et s’élever
Au fruit le bon à la nuit le beau
Les arbres crépitent de silence
Où l’on peut le recueillir avec les mains
Avec le dos – à l’ombre des ouvertures
Je regarde je touche je sens je ressens je sais
Que je ne saurai pas
Faire silence avec celui de la neige
En vivre l’intuition – le mettre au centre des actions
Me relier à lui dans la plus haute chambre
Tisser ensemble ce qui se voit et ce qui ne se voit pas
La vache aux étoiles le poème aux dauphins
Après la pluie et le soleil – entre des vents caressants
Un rouge-gorge me raconte ce qu’il sait du monde
Son chant s’écoute à la lisière de la foule
Il me dit que c’est simple
Comme l’herbe et la chute d’eau
Aux habitants de Deraa
Du pain du lait du sang à même le sol
Dans les rues de Deraa
Le souillé jusqu’aux fenêtres
Les rideaux des masques morbides
Si la clameur est lugubre si le silence est sinistre
Si les mitrailleuses couvrent les berceuses
Si le cri des enfants sur les murs est effacé
Leurs mots ne tomberont pas dans le vide
Un souffle effrayant aura tout dévasté
Sauf la caresse des mères
Des vitres autant de visages
Autant d’affûteurs de rêves
On ne sait rendre compte du rouge infini des rivières
On ne peut dire ce que deviennent les galeries creusées par les vers
Ni ce que devient l’innocence dans la peau d’un guerrier
Des crevasses des monticules peut-être
De l’héroïsme de la bassesse
Certainement de la fleur de boucher
Corps et sable
Les corps allongés et calmes
Les corps décontractés reposés
Offerts impudiques indifférents
Les corps beaux prélassés
Sauvagement détendus
Les corps rapportés avec méthode et obstination
Comme un chien rapporte son os
Les corps flottés dansant sur la plage
Sages ouverts les bras roulés
Les ventres gonflés les yeux cuits
Tout le visage embrassé par le sable
Celui qui colle à la peau
En grains d’argent sur le dos d’une main
En poussière d’étoiles sur un lambeau
Tout le reste mangé au large
Leur ombre est encore dans les vagues
L’écume rose au bord des lèvres
Les enfants construiront des châteaux de marbre
Là où les morts sont venus s’échouer
Là où le temps a fait son ménage
Où les embarcations se sont démolies
Où les chevilles et les poignets se sont recouverts
Là où l’espoir a aiguisé ses sabres
Tous les dents blanches
Tous le sang rouge
tous deux surpris alors qu’ils se
désaltéraient à la rivière.
In memoriam.
In amitié.
Mai 2008
Un fauve a surgi au coin de ma rue
Je ne l’avais encore jamais vu
Derrière quelque bouquet
Il n’existait pas ou il était tapi
A l’affût de la moindre association
De la moindre cellule distraite
En malfaiteur sonner la fin de la récréation
Son heure qui viendra bien comme vient le jour
Il a surgi avec l’envie de me tuer
C’est comme ça
Il a déboulé en m’en voulant à mort
Entre la poire et le fromage
Que faut-il se battre pour ne pas disparaître
Moi qui voulais encore ouvrir des portes
Balayer mon seuil et laver des mots
La première fois je fus pris au dépourvu
Mon sang a chassé et la peur a ouvert le bal
Dans mon ventre
Quelle autre protection que celle de l’attaque
J’ai brandi au quotidien un journal en torche
J’ai calmé les ardeurs de la bête
J’ai balancé devant sa gueule les flammes de ma rage
Et tout ce qui me tient vivant
Je l’ai éloignée à m’en croire sauvé
Le carnassier m’a montré ses dents de sabre
J’ai compris qu’il n’aimait pas
En rémission j’ai à nouveau mangé les fruits rouges de l’attente
J’ai levé mon visage au ciel et j’ai rêvé aux bonheurs du monde
C’était présent
C’était palpable
Une étoile descendait chez moi
Ta paume s’est posée sur ma joue
Une mouche sur un morceau de viande
J’en ai oublié ses muscles tendus et son halètement
Celui presque silencieux qui précède le bond
Qui m’a fait proie
J’ai pris alors un chemin détourné
Un brin d’insouciance
Pour la gloire j’ai déambulé nerveux
Puis doux fugitif j’ai rejoint la dernière intersection du péril
Là où le prédateur ses yeux ses griffes et ses crocs ne m’ont laissé que l’impitoyable sensation d’être mortel
Sur le corps des pierres
Le geste fluide taille la surface du temps
Cogne ! cogne !
Sans habitude
Apprentie de la grâce !
Les coups propulsent mes mots
Du fond des forces jusqu’au sang du marbre