Poèmes


C

Vous pouvez retrouver ici des poèmes inédits, publiés dans des revues ou des anthologies

Silences

Faire silence avec celui descendu des collines

Celui qui précède le cri

Du nouveau né

Celui qui succède au souffle

Le dernier – seul avant de rejoindre le grand tout

 

J’essaie je tente l’expérience

L’éveil au bout des doigts

Recevoir et rendre à la rivière le sacré

À la rêverie le tendre – et s’élever

Au fruit le bon à la nuit le beau

 

Les arbres crépitent de silence

Où l’on peut le recueillir avec les mains

Avec le dos – à l’ombre des ouvertures

Je regarde je touche je sens je ressens je sais

Que je ne saurai pas

 

Faire silence avec celui de la neige

En vivre l’intuition – le mettre au centre des actions

Me relier à lui dans la plus haute chambre

Tisser ensemble ce qui se voit et ce qui ne se voit pas

La vache aux étoiles le poème aux dauphins

 

Après la pluie et le soleil – entre des vents caressants

Un rouge-gorge me raconte ce qu’il sait du monde

Son chant s’écoute à la lisière de la foule

Il me dit que c’est simple

Comme l’herbe et la chute d’eau

 

Inédit, 2017.

Aux habitants de Deraa

Du pain du lait du sang à même le sol

Dans les rues de Deraa

Le souillé jusqu’aux fenêtres

Les rideaux des masques morbides

Si la clameur est lugubre si le silence est sinistre

Si les mitrailleuses couvrent les berceuses

Si le cri des enfants sur les murs est effacé

Leurs mots ne tomberont pas dans le vide

Un souffle effrayant aura tout dévasté

Sauf la caresse des mères

Des vitres autant de visages

Autant d’affûteurs de rêves

On ne sait rendre compte du rouge infini des rivières

On ne peut dire ce que deviennent les galeries creusées par les vers

Ni ce que devient l’innocence dans la peau d’un guerrier

Des crevasses des monticules peut-être

De l’héroïsme de la bassesse

Certainement de la fleur de boucher

Inédit, 2017.

Corps et sable

Les corps allongés et calmes

Les corps décontractés reposés

Offerts impudiques indifférents

Les corps beaux prélassés

Sauvagement détendus

 

Les corps rapportés avec méthode et obstination

Comme un chien rapporte son os

 

Les corps flottés dansant sur la plage

Sages ouverts les bras roulés

Les ventres gonflés les yeux cuits

Tout le visage embrassé par le sable

Celui qui colle à la peau

En grains d’argent sur le dos d’une main

En poussière d’étoiles sur un lambeau

 

Tout le reste mangé au large

Leur ombre est encore dans les vagues

L’écume rose au bord des lèvres

 

Les enfants construiront des châteaux de marbre

Là où les morts sont venus s’échouer

Là où le temps a fait son ménage

Où les embarcations se sont démolies

Où les chevilles et les poignets se sont recouverts

Là où l’espoir a aiguisé ses sabres

 

Tous les dents blanches

Tous le sang rouge

Paru dans Sable, anthologie de Giselle Sans, Poésie Images, 2009.
A André Portal et à Jacques Taurand,
tous deux surpris alors qu’ils se
désaltéraient à la rivière.
In memoriam.
In amitié.
Mai 2008

Un fauve a surgi au coin de ma rue

Je ne l’avais encore jamais vu

Derrière quelque bouquet

Il n’existait pas ou il était tapi

A l’affût de la moindre association

De la moindre cellule distraite

En malfaiteur sonner la fin de la récréation

Son heure qui viendra bien comme vient le jour

 

Il a surgi avec l’envie de me tuer

C’est comme ça

Il a déboulé en m’en voulant à mort

Entre la poire et le fromage

Que faut-il se battre pour ne pas disparaître

Moi qui voulais encore ouvrir des portes

Balayer mon seuil et laver des mots

 

La première fois je fus pris au dépourvu

Mon sang a chassé et la peur a ouvert le bal

Dans mon ventre

Quelle autre protection que celle de l’attaque

J’ai brandi au quotidien un journal en torche

J’ai calmé les ardeurs de la bête

J’ai balancé devant sa gueule les flammes de ma rage

Et tout ce qui me tient vivant

Je l’ai éloignée à m’en croire sauvé

 

Le carnassier m’a montré ses dents de sabre

J’ai compris qu’il n’aimait pas

 

En rémission j’ai à nouveau mangé les fruits rouges de l’attente

J’ai levé mon visage au ciel et j’ai rêvé aux bonheurs du monde

C’était présent

C’était palpable

Une étoile descendait chez moi

Ta paume s’est posée sur ma joue

Une mouche sur un morceau de viande

J’en ai oublié ses muscles tendus et son halètement

Celui presque silencieux qui précède le bond

Qui m’a fait proie

 

J’ai pris alors un chemin détourné

Un brin d’insouciance

Pour la gloire j’ai déambulé nerveux

Puis doux fugitif j’ai rejoint la dernière intersection du péril

Là où le prédateur ses yeux ses griffes et ses crocs ne m’ont laissé que l’impitoyable sensation d’être mortel

 

Paru dans une version différente sur www.dechargelarevue.com, juillet 2008. Paru dans le n°3 de Pages insulaires, octobre 2008.
A Saskia sculptrice
Apprentie de la grâce

Sur le corps des pierres

Le geste fluide taille la surface du temps

Cogne ! cogne !

Sans habitude

Apprentie de la grâce !

Les coups propulsent mes mots

Du fond des forces jusqu’au sang du marbre